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Bingqing Shen étudie la sociologie des gouttelettes d’huile

Dynamique d’un petit nombre de gouttes dans une cellule de Hele-Shaw pour la microfluidique.

Gulliver,
groupe Microfluidique, MEMS, Nanostructures
www.mmn.espci.fr

Voir l’animation en ligne

C’est bien connu : l’huile et l’eau ne se mélangent pas. En cuisine, quand on verse du vinaigre dans de l’huile, on observe de petites gouttes se former : il s’agit d’une émulsion. Ce genre de situations plaît beaucoup aux scientifiques, qui en profitent pour étudier les nombreux phénomènes de physique cachés dans la vinaigrette !

De la science en cuisine : une vinaigrette correspond à la situation où, pour les physiciens, deux fluides non miscibles forment une émulsion


La microfluidique est l’étude de l’écoulement des liquides placés dans des contenants dont la taille est de l’ordre du micromètre : il s’agit donc d’une échelle un million de fois plus petite que le mètre. Alors que la mécanique des fluides examine souvent des éléments macroscopiques, comme le mouvement des fleuves ou le vol des montgolfières, la microfluidique se caractérise par des expériences qui prennent très peu de place : les « rivières » qui en sont l’objet d’étude font tout au plus quelques centimètres de long, et moins d’un millimètre de large !

Bingqing est doctorante au laboratoire de microfluidique de l’ESPCI. Elle travaille sur la formation d’agrégats de microgouttes : comment deux ou trois gouttes, initialement seules dans un canal, se rejoignent pour former un groupe naviguant de concert, puis se séparent pour voguer chacune de leur côté.

Le dispositif expérimental que Bingqing utilise comporte des microcanaux remplis d’eau. Cette eau est mise en mouvement grâce à une machine qui crée une différence de pression à chaque bout du canal : il se crée un courant qui part de la surpression pour aller vers la dépression. Un autre canal est rempli d’huile : il ne communique avec le précédent que lorsque des vannes sont ouvertes. Alors un peu d’huile se répand dans l’eau : cela forme une microgoutte. C’est la situation inverse de la vinaigrette.

Bingqing observant son expérience de microfluidique à l’aide d’un microscope optique


Une fois les gouttes créées, Bingqing étudie la façon dont elles interagissent à plusieurs, en faisant varier leur taille, leur nombre, ou bien leur vitesse. Comme le montrent les vidéos, elle a constaté que certaines formaient des agrégats, alors que d’autres se repoussaient et que d’autres encore se tournaient autour. Une autre partie des travaux de Bingqing porte sur les doubles émulsions  : elle fabrique des gouttes d’eau emprisonnées dans des gouttes d’huile, elles-mêmes flottant dans un microcanal rempli d’eau… et les regarde évoluer.


La microfluidique est une science récente : elle ne remonte qu’aux années 1980. Depuis cette date, de nombreuses études théoriques ont été publiées, qui prédisent le comportement de gouttes dans de telles situations. Une partie du travail de Bingqing était justement de vérifier si l’expérience est en accord avec la théorie. Bonne nouvelle : cela semble bien être le cas !

Les travaux comme ceux de Bingqing servent donc à vérifier un cadre théorique nécessaire à la bonne compréhension des phénomènes, avant de mettre ceux-ci à profit pour développer toute une gamme d’applications, qui suscitent déjà l’intérêt de nombreuses entreprises. Par exemple, le savoir-faire acquis sur les émulsions permet d’optimiser les propriétés de nombreux matériaux, alors que celui sur les agrégats de gouttes permet d’imaginer l’encapsulation puis le transport de médicaments dans l’organisme.


Mais comment Bingqing en est-elle arrivée à étudier la sociologie des gouttelettes d’huile ?

Puisqu’elle appréciait les sciences, elle a choisi d’entrer à l’université en Chine, où elle a commencé par des études généralistes de physique et de chimie. Elle s’est ensuite spécialisée dans les matériaux, car elle voit dans ce domaine « une certaine beauté ». En 2006, Bingqing a choisi de quitter la Chine pour poursuivre ses études à l’ESPCI, grâce au programme « 50 ingénieures chinoises à ParisTech ». L’arrivée à l’école fut presque un choc : en Chine, les campus sont souvent grands mais peu denses, alors qu’ici, tout est petit mais très concentré ! Finalement, après avoir vu les belles vidéos que l’on réalise en microfluidique et avoir manipulé pendant les séances de travaux pratiques, elle a trouvé cela « tellement marrant qu’[elle] a décidé de continuer » !

Ses passions sont l’art et la nature : si elle n’était pas physicienne, elle se verrait bien artiste car le dessin est une activité qui lui plaît beaucoup ; elle apprécie également l’observation (et la fréquentation !) des oiseaux. Son parcours l’a également amenée à étudier le management de l’innovation à l’université Paris Dauphine, des connaissances qu’elle juge « complémentaires à sa formation scientifique ». Dans le futur, elle envisage de retourner en Chine pour partager ses expériences : par exemple, elle a l’intention de nuancer l’idée que les Chinois se font souvent de la France. En effet, pour un grand nombre d’entre eux, il s’agit d’un pays où tout est affaire de romantisme… ce qui – malheureusement – n’est pas toujours conforme à la réalité !

Bingqing dans son laboratoire, visualisant sur son ordinateur l’expérience sur les triples émulsions qu’elle est en train d’effectuer


Article rédigé par Guillaume DUREY et Alexis WEINREB,
élèves-ingénieurs de l’ESPCI ParisTech