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Accueil > Ressources > Des Têtes Chercheuses à l’ESPCI Paris > Pierre-Brice Bintein a inventé le fil à couper les gouttes

Pierre-Brice Bintein a inventé le fil à couper les gouttes

Déformation d’une goutte à l’impact d’une fibre mouillée.

Laboratoire de Physique et Mécanique
des Milieux Hétérogènes
www.pmmh.espci.fr

Voir l’animation en ligne

Pendant son stage de l’été 2011 au laboratoire PMMH, Victor Chaulot-Talmon étudiait les conditions nécessaires pour qu’une goutte en chute libre s’accroche à un fil chauffé. Il a alors observé un phénomène surprenant : dans certains cas, la goutte était coupée en deux par le fil. Pendant sa thèse, Pierre-Brice a repris plus en détail l’étude de ce phénomène, surnommé casque en raison de la forme de casque audio qu’adoptent les gouttes lors de leur coupure par le fil. Et puisque la langue des scientifiques est avant tout l’anglais, et que donner un nom amusant à un phénomène permet de mieux se souvenir de ce dernier, il l’a également appelé cherry droplets  : les gouttes-cerises !


Pierre-Brice a alors découvert que le fait de chauffer le fil n’avait aucune influence, mais qu’en revanche, le casque n’apparaissait que si le fil était préalablement mouillé. Un autre stagiaire, Philippe Bourrianne, a ainsi établi que le casque n’apparaît que pour une certaine gamme de quantité de liquide déjà présente sur le fil. Cependant, l’explication de ce phénomène n’est pas encore bien comprise. Elle pourrait être liée au film d’air qui est piégé entre la goutte et le film de liquide accroché au fil. Mais la question est encore ouverte… Pierre-Brice a également constaté que si l’on faisait tomber la goutte sur le fil de manière un peu décentrée, il se produisait un phénomène de rebond tout à fait intéressant !


Encore plus étonnant : si, au lieu de faire tomber la goutte sur un fil, on la fait tomber sur un plan mouillé, on peut observer que la goutte prend bien plus longtemps à s’étaler qu’elle ne le ferait sur un plan sec. Tout se passe comme si la goutte ne voulait pas rejoindre le liquide dont elle est pourtant constituée : il s’agirait en quelque sorte d’un phénomène d’autophobie ! Une équipe de l’université Paris VII parvient même à faire léviter des gouttes pendant plusieurs jours au-dessus d’un bain, en le faisant vibrer : cela renouvelle ainsi indéfiniment le film d’air entre la goutte et le plan. Ces gouttes sautillantes, associées aux ondes qu’elles créent lors des rebonds, ont alors un comportement tout à fait étrange : on peut par exemple les faire interférer ou diffracter !


Cette expérience, qui n’est que l’un des éléments de la thèse de Pierre-Brice, est assez représentative de certaines caractéristiques de la recherche scientifique : trois personnes différentes ont travaillé dessus, chacun apportant sa pierre à l’édifice. Et une des premières difficultés rencontrées peut sembler triviale : réussir à observer à nouveau le casque, après que Victor eut découvert son existence. En effet, ce n’est pas toujours évident d’observer un phénomène à nouveau quand on change d’expérimentateur !

Pierre-Brice réalise sa thèse en partenariat avec l’entreprise Saint-Gobain. La fabrication de laine de verre comporte une étape de pulvérisation de colle, chère et assez polluante, pour agglomérer les fibres de verre entre elles. Or, il y a beaucoup de pertes lors de cette étape. Ces pertes pourraient être dues au phénomène de casque, et l’étude menée par Pierre-Brice pourrait donc mener à des économies substantielles de colle pour les entreprises fabriquant de la laine de verre.

De la laine de verre vue au microscope électronique de l’ESPCI : une situation qui s’apparente au sujet d’étude de Pierre-Brice


L’étude de ces cherry droplets permet également d’approfondir la compréhension que l’on a de tous les phénomènes impliquant des gouttes sur une fibre. Par exemple, on pourrait ainsi mieux appréhender la façon dont la rosée s’accroche aux toiles d’araignées, et peut-être même utiliser ces connaissances dans les systèmes de récupération de rosée pour fournir de l’eau potable dans certains pays.

De la rosée sur une toile d’araignée : encore un exemple tiré de la Nature où les recherches de Pierre-Brice pourraient bien trouver des applications

Mais comment Pierre-Brice en est-il venu à inventer le fil à couper les gouttes ?

Pierre-Brice apprécie le fait d’expliquer des phénomènes naturels, une des caractéristiques propres à la physique. C’est donc cette discipline qui l’a intéressé en particulier, plus que d’autres domaines de la science, et ce dès la classe de seconde. Après une formation assez généraliste en classes préparatoires, puis à l’ENS de Lyon et en agrégation, il s’est tourné vers un master alliant des cours théoriques et d’autres plus pratiques sur la physique des liquides. Il s’est ainsi orienté vers un domaine qui lui plaît particulièrement, lui permettant de faire de la physique à l’échelle humaine. En effet, la physique des particules ou l’astrophysique ne l’intéressent pas autant : il aime avant tout étudier des phénomènes proches de la vie quotidienne, qui apparaissent à une échelle humaine, bref, des phénomènes qui correspondent à la nature telle qu’on la perçoit autour de nous. Aujourd’hui, il « ne pense pas [s’]être trompé de voie », même s’il reste également attiré par l’enseignement et la recherche. Pierre-Brice ne se voit pas non plus comme un « scientifique fanatique » : il apprécie également la littérature, et pratique le football.

Pierre-Brice dans son laboratoire


Article rédigé par Guillaume DUREY et Alexis WEINREB,
élèves-ingénieurs de l’ESPCI ParisTech