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Raphaële Thevenin et Guillaume Dupeux élucident le quotidien des araignées sous-marines

Comment l’argyronète aquatique utilise sa peau superhydrophobe pour construire sa cloche d’air.

Laboratoire de Physique et Mécanique
des Milieux Hétérogènes
www.pmmh.espci.fr

Voir l’animation en ligne

C’est après une visite de l’exposition Au fil des araignées, qui s’est tenue au Muséum National d’Histoire Naturelle d’octobre 2011 à juillet 2012, qu’un jeune chercheur du laboratoire PMMH s’est dit que l’argyronète aquatique serait un sujet d’étude fascinant. Mais pourquoi des physiciens spécialisés dans les phénomènes aux interfaces ont-ils voulu travailler sur une araignée ?


L’argyronète est en fait bien particulière : il s’agit de l’unique araignée connue pour passer toute son existence sous l’eau ! Pour vivre, elle tisse d’abord une toile entre des plantes aquatiques. Puis elle apporte depuis la surface un grand nombre de bulles d’air, qu’elle coince les unes après les autres sous la toile. Elle se constitue ainsi des réserves pour respirer dans sa « maison », qui prend l’allure d’une cloche d’air au fond de l’eau. Elle peut même y passer plusieurs jours sans remonter à la surface ! Ce mode de vie très particulier lui permet sans doute d’échapper à ses prédateurs terrestres, tout en se nourrissant de petits crustacés et insectes marins. Elle a même suscité l’intérêt du cinéaste japonais Hayao Miyazaki, qui lui a consacré un court-métrage, Monomon l’araignée d’eau.

« Monomon l’araignée d’eau », ou comment une argyronète tombe amoureuse d’un gerris ...


La question qui a piqué la curiosité des scientifiques du PMMH est celle de la création des bulles d’air depuis la surface ainsi que celle de leur dépôt dans l’habitat de l’araignée. Ils se sont aperçus que cette dernière possédait une morphologie très spécifique : alors que sa tête est lisse, son abdomen est recouvert de poils très fins mais très longs, qui ont la particularité de repousser les molécules d’eau. On dit qu’ils présentent un caractère hydrophobe. Et comme cette répulsion est particulièrement marquée, on les qualifie même de « superhydrophobes ».


Raphaële et Guillaume ont tenté d’élucider le mécanisme de création et de dépôt de ces bulles d’air en modélisant la plongée de l’araignée par une expérience de laboratoire. Ils ont choisi de représenter l’araignée par deux sphères fixées l’une au-dessus de l’autre sur une tige, l’une étant lisse et l’autre possédant un revêtement superhydrophobe. Les sphères sont initialement dans l’air, puis sont immergées dans l’eau de façon plus ou moins rapide. Les deux doctorants ont ainsi compris que pour arracher une bulle d’air à la surface, l’araignée devait plonger très rapidement, alors que pour déposer la bulle d’air dans sa cloche, elle devait le faire lentement. Et si elle ressort trop vite de sa cloche, elle en arrache une partie… Le labeur de l’argyronète est donc essentiellement une affaire de vitesse  !


Entre la découverte du problème, la conception de l’expérience, les manipulations et l’interprétation des résultats, le projet a pris près d’un mois et demi aux deux doctorants. Il s’agit d’un sujet annexe, qui ne concerne pas directement leurs thèses même si la thématique n’en est pas très éloignée. En le réalisant à deux, ils constatent avoir été plus efficaces, car ils ont pu échanger leurs idées et ainsi avancer plus vite. Ils souhaitent aujourd’hui se rendre dans les étangs de Fontainebleau afin de capturer une araignée vivante, dans le but de l’étudier pour de vrai !

Quel est l’intérêt d’un tel projet ? Selon Raphaële et Guillaume, il s’agit surtout d’expliquer comment fonctionne la Nature et de reproduire de manière plus simple les phénomènes qui s’y produisent. La recherche est souvent confondue avec la technique : la méthode de la première est notamment de brasser des idées dans un vaste domaine, puis d’en tirer des applications. Par exemple, l’araignée transportant sa bulle peut servir de modèle pour tout objet recouvert d’un film d’air et plongeant dans de l’eau. Dans certaines situations, on peut vouloir reproduire cette configuration : c’est par exemple le cas des industriels qui étudient les performances de projectiles sous-marins.

Mais comment Raphaële et Guillaume en sont-ils arrivés à élucider le quotidien des araignées sous-marines ?

Pour Guillaume, comme il le dit lui-même, « ce n’était pas compliqué » : après une Terminale scientifique où il avait surtout de bonnes notes en physique et en maths, la classe préparatoire était la solution « autant par défaut que naturel[le] ». Puis vint l’école d’ingénieurs où parmi les différents cours qu’il reçut à l’École Polytechnique, ce fut la mécanique des fluides et plus particulièrement le cours sur les surfaces molles qui l’intéressèrent le plus. Il choisit ensuite un master proposé par son professeur de matière molle, David Quéré, et effectua des stages dans le laboratoire de ce dernier, le PMMH, avant d’y rester pour de bon pour sa thèse.

Guillaume n’ayant pas grandi dans un milieu scientifique, ce sont ses facilités et son intérêt pour le domaine qui l’ont amené à se tourner vers les sciences en premier lieu. Au lycée, Guillaume s’intéressait plus aux mathématiques, mais avec le temps, ce fut finalement la physique qu’il préféra. Quand il n’est pas en train d’élucider les phénomènes physiques à l’origine des coups les plus spectaculaires du football, Guillaume aime bien faire de l’escalade ; il pratique aussi la randonnée en montagne, et toutes sortes d’activités proches de la Nature. Il apprécie également les jeux de société, la lecture et le cinéma, « comme tout le monde ».

Guillaume et Raphaële dans leur laboratoire

Le parcours de Raphaële a été un peu moins « linéaire » : à la fin de la Terminale S, elle a hésité à aller étudier aux États-Unis. Ses parents jugeant qu’elle était trop jeune pour partir seule à l’étranger, elle s’est finalement décidée pour une classe préparatoire, section mathématiques. Elle intégra ensuite SupOptique ; mais après deux ans passés dans cette grande école d’ingénieurs, elle commença à se demander si les sciences qu’on lui enseignait correspondaient vraiment à ce qu’elle souhaitait. Raphaële décida alors de se donner une année de césure pour tenter de mieux cerner ses centres d’intérêt en effectuant plusieurs stages. Elle fit notamment l’un d’entre eux au MIT, à Boston : ce fut pour elle l’occasion de découvrir la science des matériaux. Elle prit alors la décision de rester dans le monde scientifique, mais de s’éloigner du domaine de l’optique fondamentale qu’on lui avait surtout enseigné jusque là.

Elle put alors bénéficier du double diplôme SupOptique / ESPCI récemment créé, pour effectuer la suite de sa scolarité à l’ESPCI, dans la 126e promotion. À son arrivée à l’école, Raphaële choisit de changer radicalement de voie en suivant la filière physico-chimie. Elle s’orienta alors vers la mécanique des fluides et l’étude des matériaux, et fit un stage auprès de David Quéré. Juste après, elle commença sa thèse au PMMH, le laboratoire de ce dernier, car elle appréciait le fait que les sujets qui y étaient proposés témoignent d’une vision ludique et expérimentale de la physique. Motivée par la compréhension des phénomènes de la vie de tous les jours, Raphaële voit la science « un peu comme un jeu ».

Mais elle a aussi de nombreux autres divertissements ! Elle a notamment fait du théâtre, de l’improvisation et du volley pendant ses études, et elle pratique aujourd’hui des danses latines comme la salsa, mais aussi des danses africaines. Raphaële est également passionnée par les voyages, ce qui est source de discussions animées au labo avec Guillaume, qui lui reproche souvent « d’exploser son bilan carbone » par un usage plutôt fréquent de l’avion !

Article rédigé par Guillaume DUREY et Alexis WEINREB,
élèves-ingénieurs de l’ESPCI ParisTech